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LOUIS VUITTON/ VENDÔME : la marque d’une commune relève du domaine privé Tribunal administratif d’Orléans, 24 septembre 2025, n° 2102661 par Lucien MAURIN

Par un jugement du 24 septembre 2025, le tribunal administratif d’Orléans admet qu’une commune peut valoriser commercialement son nom lorsqu’il est protégé à titre de marque, celle-ci relevant du domaine privé et non du domaine public inaliénable. En revanche, la délibération autorisant la concession d’usage du signe « Vendôme » à Louis Vuitton est annulée pour défaut de justification du prix fixé à 10 000 €. Le tribunal consacre ainsi la licéité de principe des marques territoriales, tout en rappelant l’exigence d’une valorisation économiquement fondée du patrimoine immatériel public.

La commune de Vendôme, située dans le Loir-et-Cher, avait déposé en 2012 plusieurs marques comportant son nom, couvrant différentes classes de produits et de services. En 2021, le conseil municipal a autorisé le maire à conclure avec la société Louis Vuitton Malletier un contrat portant sur l’exploitation de la marque « Vendôme » pour les produits relevant de la classe 14 de la classification de Nice, c’est-à-dire la joaillerie, la bijouterie et l’horlogerie.

La délibération autorisait expressément une « cession non exclusive du droit d’usage » de la marque pour une durée de dix ans, moyennant le versement d’une redevance unique de 10 000 euros hors taxes.

À la suite de cette délibération, l’INPI a enregistré, en mai 2021, une transmission partielle de propriété de la marque « Vendôme » au profit de Louis Vuitton Malletier, laquelle figurait dès lors comme titulaire pour la seule classe 14.

L’association locale « Vendôme notre patrimoine » a formé un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif d’Orléans. Elle soutenait que la commune ne pouvait aliéner une marque portant sur son nom, au motif que ce signe constituerait un bien du domaine public soumis au principe d’inaliénabilité, et que le prix fixé ne reposait sur aucune évaluation économique sérieuse.

Par un jugement du 24 septembre 2025, le tribunal administratif d’Orléans a partiellement fait droit à cette requête : il a admis le principe d’une cession d’usage d’une marque relevant du domaine privé d’une commune, mais il a annulé la délibération pour défaut de justification du prix.

L’affaire soulevait trois séries de questions juridiques distinctes :

1/ La qualification domaniale de la marque déposée par une commune : s’agit-il d’un bien du domaine public, inaliénable, ou d’un élément de son domaine privé ?

2/ La nature juridique de l’opération conclue avec Louis Vuitton : devait-on y voir une véritable cession de propriété, au sens du droit des marques, ou seulement la concession d’un droit d’usage temporaire assimilable à une licence ?

3/ La légalité du prix convenu au regard des principes de bonne gestion du domaine privé des personnes publiques : la commune devait-elle justifier le montant fixé ?

I - La solution du tribunal administratif d’Orléans

A. Compétence du juge administratif

Le tribunal commence par rappeler que, même si les conventions relatives à la gestion du domaine privé des collectivités territoriales relèvent en principe du juge judiciaire, le recours formé par un tiers contre la délibération autorisant la conclusion de la convention constitue un acte administratif détachable du contrat, dont il appartient au juge administratif de connaître.

La requête de l’association était donc recevable devant la juridiction administrative.

B. La marque relève du domaine privé de la commune

Le tribunal précise ensuite que la marque “Vendôme”, bien qu’enregistrée au nom de la commune, ne relève pas du domaine public.

En effet, conformément aux dispositions du Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP), n’appartiennent au domaine public que les biens affectés à l’usage direct du public ou à un service public, pourvu qu’ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à cette affectation (art. L. 2111-1 CGPPP).

Or, une marque déposée n’est ni destinée à l’usage du public, ni indissociable d’un service public ; elle constitue au contraire un actif immatériel patrimonial, soumis au régime du droit des marques (art. L. 711-1 et s. du Code de la propriété intellectuelle).

Le tribunal en déduit que la marque d’une collectivité territoriale relève de son domaine privé.
Elle peut donc, en principe, en disposer librement, sous réserve du respect des règles de gestion et de valorisation applicables à ce domaine.

C. La nature juridique de l’opération : une licence d’usage, non une cession de propriété

Le contrat conclu avec Louis Vuitton Malletier mentionnait une « cession non exclusive pour dix ans ».
Cependant, le tribunal observe que l’acte litigieux n’emporte pas transfert définitif de propriété, dès lors qu’il est limité dans le temps, qu’il porte sur une seule classe de produits et qu’il n’est pas exclusif.

En conséquence, le juge considère qu’il ne s’agit pas d’une véritable cession de la marque, mais d’un contrat de licence ou de concession d’un droit d’usage.

Cette qualification est déterminante : en écartant la notion de « cession » au sens patrimonial, le tribunal évite l’application du principe d’inaliénabilité du domaine public et reconnaît la légalité de principe d’une telle convention.

Ainsi, le principe même de la valorisation commerciale d’une marque déposée par une commune est jugé conforme au droit.

D. L’annulation de la délibération pour défaut de justification du prix

Si le principe est validé, la mise en œuvre est sanctionnée.
Le tribunal relève que la commune n’a produit aucune évaluation économique, ni aucun élément de comparaison, de sorte que le montant de 10 000 euros fixé pour dix années d’exploitation n’était pas justifié.

Or, la gestion du domaine privé d’une collectivité territoriale suppose le respect de l’exigence de bonne administration des deniers publics : même en l’absence de règles tarifaires précises, la personne publique doit démontrer que le prix correspond à la valeur économique du droit concédé.

Faute d’une telle justification, la délibération a été annulée pour excès de pouvoir.

II - La portée et les enseignements de la décision

A. Confirmation de la nature patrimoniale et privative des marques des collectivités

Le jugement consacre clairement la possibilité, pour une collectivité territoriale, de déposer et d’exploiter une marque portant sur son nom.
Une telle marque constitue un bien du domaine privé, au même titre qu’un actif financier ou qu’un immeuble de rapport.

Elle peut donc être licenciée, cédée ou concédée, sous réserve du respect des principes de transparence, de bonne gestion et de protection de l’intérêt local.
La jurisprudence du TA d’Orléans confirme ainsi qu’il n’existe pas d’interdiction de principe à la monétisation du nom d’une commune dès lors que celle-ci s’effectue par le biais d’une marque déposée et non par une appropriation du nom administratif lui-même.

B. Distinction entre le nom de la collectivité et la marque

Il importe de distinguer le nom de la commune, qui demeure un élément d’identité administrative et géographique inaliénable, et la marque, qui est un signe distinctif autonome soumis au droit de la propriété industrielle.

La commune ne « vend » donc pas son nom au sens strict ; elle accorde à un tiers le droit d’utiliser ce signe à titre de marque pour désigner certains produits.
Cette distinction est essentielle pour écarter tout risque d’atteinte à la personnalité juridique ou à la souveraineté symbolique de la collectivité.

C. L’exigence de valorisation et de justification économique

La décision met également en lumière la rigueur exigée dans la gestion du domaine privé.
Une collectivité peut valoriser son patrimoine immatériel, mais elle doit pouvoir démontrer la pertinence économique du prix fixé.

Le défaut de justification du montant de 10 000 € a suffi à caractériser un vice de légalité interne, fondant l’annulation de la délibération.
Le juge administratif exerce donc un contrôle restreint mais réel sur la rationalité économique de la décision.

D. L’incidence des décisions de l’INPI

Il convient enfin de souligner que l’INPI, par décision du 1er juillet 2022, a annulé la marque “Vendôme” pour les produits de la classe 14.
L’Institut a estimé que le signe « Vendôme » n’était pas distinctif, car il évoquait immédiatement pour le public la Place Vendôme, célèbre centre du luxe parisien, et ne pouvait donc pas remplir la fonction d’indication d’origine propre à la marque.

Cette annulation ne prive pas d’objet la décision du tribunal administratif : celui-ci statuait sur la légalité de la délibération au moment où elle a été prise, indépendamment du sort ultérieur de la marque.
Mais elle souligne la fragilité économique et juridique de ce type d’opération, lorsque le signe territorial est déjà fortement connoté dans le langage commun.

Lucien MAURIN

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