
Quand le CEO fond comme un chocolat : liaisons interdites et loyauté en entreprise Entre vie privée protégée et devoir de loyauté, quelles limites juridiques à l’éviction d’un dirigeant ou d’un salarié en France ? par Lucien MAURIN
Le licenciement du directeur général de Nestlé en Suisse, en septembre 2025, pour avoir dissimulé une relation hiérarchique, met en lumière les tensions persistantes entre la protection de la vie privée des salariés et l’exigence de loyauté envers l’entreprise.
En France, la relation sentimentale constitue en principe un élément de la vie personnelle, protégé de toute ingérence. Toutefois, lorsqu’elle engendre un conflit d’intérêts et qu’elle est volontairement cachée, elle peut constituer un manquement grave à la loyauté, justifiant un licenciement disciplinaire.
Pour les mandataires sociaux, la règle de la révocation ad nutum permet une éviction immédiate. Néanmoins, le dirigeant peut obtenir réparation si la décision est abusive, à moins que l’entreprise ne parvienne à démontrer l’existence d’un juste motif.
L’affaire Nestlé incite ainsi les entreprises à renforcer leurs politiques de gouvernance et de prévention des conflits d’intérêts.
I. L’affaire Nestlé : un cas d’école en Suisse
En septembre 2025, Nestlé a révoqué immédiatement son directeur général, Laurent Freixe, après la révélation d’une relation amoureuse non déclarée avec une salariée placée sous son autorité directe. L’entreprise a considéré que cette dissimulation violait son Code de conduite, qui impose la déclaration des situations de conflit d’intérêts.
En droit suisse, la mesure trouve son fondement dans deux dispositions essentielles du Code des obligations :
l’article 321a du Code des obligations, qui consacre le devoir de fidélité du salarié et interdit toute situation compromettant les intérêts de l’employeur ;
l’article 337 du Code des obligations, qui autorise la résiliation immédiate du contrat en cas de justes motifs, notamment en cas de rupture du lien de confiance.
La jurisprudence helvétique considère que la dissimulation d’une relation hiérarchique par un dirigeant constitue un juste motif, dès lors qu’elle compromet gravement la confiance indispensable à l’exécution du mandat.
---
II. Le régime applicable aux salariés en France : la protection de la vie privée confrontée à l’exigence de loyauté
A. La protection de la vie privée comme principe fondamental
En droit français, la vie personnelle du salarié est protégée par l’article 9 du Code civil et par l’article L.1121-1 du Code du travail, qui prohibe toute restriction disproportionnée aux libertés individuelles.
La Cour de cassation a affirmé de longue date qu’une liaison amoureuse ne constitue pas, en elle-même, une faute disciplinaire. Dans l’arrêt Nestlé du 21 décembre 2006, elle a rappelé que seul un trouble objectif au sein de l’entreprise pouvait justifier une sanction.
B. L’exigence croissante de loyauté
L’article L.1222-1 du Code du travail impose au salarié une exécution loyale du contrat. Cette exigence prend une dimension particulière lorsqu’une relation sentimentale met en cause l’impartialité ou l’intégrité de l’organisation hiérarchique.
---
III. Le régime spécifique des mandataires sociaux : révocation ad nutum et abus de droit
A. La révocation ad nutum comme principe
En matière de gouvernance, les dirigeants mandataires sociaux ne relèvent pas du droit du travail mais du droit des sociétés.
Dans la société anonyme, le président du conseil d’administration (art. L.225-47 C. com.) et le directeur général (art. L.225-55 C. com.) peuvent être révoqués à tout moment, sans préavis ni indemnité.
Dans la société par actions simplifiée, le régime est fixé par les statuts (art. L.227-6 C. com.). À défaut de clause contraire, la révocation est également ad nutum.
B. Les limites jurisprudentielles : l’abus de droit
La révocation ne doit pas dégénérer en abus. La Cour de cassation sanctionne l’abus lorsque la révocation s’accompagne de circonstances vexatoires, humiliantes ou attentatoires à la réputation du dirigeant (Cass. com., 15 nov. 2011, n° 10-26.798). Dans ce cas, le dirigeant peut obtenir des dommages-intérêts, sans pour autant être réintégré dans ses fonctions.
C. L’intérêt du juste motif
Si la révocation ad nutum ne requiert pas de justification, l’existence d’un juste motif permet de sécuriser la décision et de limiter le risque indemnitaire.
La jurisprudence considère comme justes motifs les comportements traduisant un manquement grave à la loyauté ou une rupture de confiance (Cass. com., 9 mars 2010, n° 08-21.547). La dissimulation d’une liaison hiérarchique entre parfaitement dans ce cadre.
D. Conséquences pratiques pour les entreprises
En pratique, une révocation analogue à celle intervenue chez Nestlé serait juridiquement possible en France. Toutefois, pour réduire le risque de contentieux, deux précautions sont indispensables :
Établir un juste motif démontrant la rupture du lien de confiance.
Éviter toute brutalité dans la procédure, en organisant un minimum de contradictoire et en maîtrisant la communication interne et externe.
L’arrêt du 29 mai 2024 (Cass. soc., n° 22-16.218) illustre ce tournant jurisprudentiel : la Cour a validé le licenciement pour faute grave d’un DRH ayant dissimulé une relation avec une représentante syndicale. Elle a jugé que le seul fait de dissimuler une situation créant un conflit d’intérêts constituait un manquement grave à la loyauté, indépendamment de la preuve d’un préjudice.
---
III. Le régime spécifique des mandataires sociaux : révocation ad nutum et abus de droit
A. La révocation ad nutum comme principe
En matière de gouvernance, les dirigeants mandataires sociaux ne relèvent pas du droit du travail mais du droit des sociétés.
Dans la société anonyme, le président du conseil d’administration (art. L.225-47 C. com.) et le directeur général (art. L.225-55 C. com.) peuvent être révoqués à tout moment, sans préavis ni indemnité.
Dans la société par actions simplifiée, le régime est fixé par les statuts (art. L.227-6 C. com.). À défaut de clause contraire, la révocation est également ad nutum.
B. Les limites jurisprudentielles : l’abus de droit
La révocation ne doit pas dégénérer en abus. La Cour de cassation sanctionne l’abus lorsque la révocation s’accompagne de circonstances vexatoires, humiliantes ou attentatoires à la réputation du dirigeant (Cass. com., 15 nov. 2011, n° 10-26.798). Dans ce cas, le dirigeant peut obtenir des dommages-intérêts, sans pour autant être réintégré dans ses fonctions.
C. L’intérêt du juste motif
Si la révocation ad nutum ne requiert pas de justification, l’existence d’un juste motif permet de sécuriser la décision et de limiter le risque indemnitaire.
La jurisprudence considère comme justes motifs les comportements traduisant un manquement grave à la loyauté ou une rupture de confiance (Cass. com., 9 mars 2010, n° 08-21.547). La dissimulation d’une liaison hiérarchique entre parfaitement dans ce cadre.
D. Conséquences pratiques pour les entreprises
En pratique, une révocation analogue à celle intervenue chez Nestlé serait juridiquement possible en France. Toutefois, pour réduire le risque de contentieux, deux précautions sont indispensables :
Établir un juste motif démontrant la rupture du lien de confiance.
Éviter toute brutalité dans la procédure, en organisant un minimum de contradictoire et en maîtrisant la communication interne et externe.
---
IV. Prévention et gouvernance : outils juridiques et bonnes pratiques
Les entreprises doivent anticiper les risques liés aux liaisons en milieu professionnel en mettant en place des dispositifs adaptés :
Charte éthique ou règlement intérieur : l’interdiction générale des liaisons est nulle, mais l’obligation de déclaration ciblée des situations de conflit d’intérêts est admise, sous réserve de proportionnalité (art. L.1321-3 C. trav.).
Mesures organisationnelles : exclusion du supérieur hiérarchique de tout processus d’évaluation, modification du reporting ou mise en place d’une validation croisée.
Enquêtes internes : elles doivent être conduites dans le respect du RGPD et conformément à l’arrêt de l’Assemblée plénière du 22 décembre 2023, qui admet la recevabilité d’une preuve obtenue de manière déloyale dès lors qu’elle est indispensable et proportionnée.
---
#DroitDuTravail #RelationsAuTravail #Loyauté #ViePrivée #Gouvernance #MandatairesSociaux #Licenciement #Révocation #RessourcesHumaines #ConflitsDIntérêts #lawprofiler