
HERMÈS ET LVMH : bref retour sur un affrontement stratégique devenu cas d’école de la transparence boursière par Lucien MAURIN
Entre 2008 et 2010, LVMH a constitué une exposition économique sur Hermès via des equity swaps réglés en espèces, contrats qui, bien que ne conférant pas immédiatement de droits de vote, permettaient un dénouement en titres. En choisissant cette option en octobre 2010, LVMH a franchi plusieurs seuils légaux de participation (notamment 5 % et 10 % au sens des articles L. 233-7 et L. 233-9 du Code de commerce) et révélé une détention de 17,1 %.
En juin 2013, l’AMF a condamné LVMH à 8 M€ pour manquement à l’obligation d’information permanente (art. 223-1 RG AMF) et pour défaut d’information sur la préparation d’une opération significative (art. 223-6 RG AMF). Le règlement amiable de septembre 2014, assorti d’une distribution en nature des actions Hermès et d’un engagement de non-acquisition pendant 5 ans, a clos ce dossier, devenu emblématique de l’encadrement juridique des dérivés et de la transparence des marchés financiers.
I. La montée au capital de LVMH par l’utilisation d’instruments dérivés
A. L’usage des equity swaps pour contourner la visibilité du marché
Entre 2008 et 2010, LVMH, via des filiales, a conclu des contrats financiers de type equity-linked swaps (ELS) avec plusieurs banques (Société Générale, Crédit Agricole CIB, Nexgen/Natixis).
Ces contrats prévoyaient en principe un règlement en espèces (cash-settled), ce qui ne conférait ni droits de vote ni obligations déclaratives immédiates. Toutefois, les clauses contractuelles permettaient un dénouement en titres, les échéances étaient resserrées et des garanties intragroupe avaient été apportées, révélant la préparation d’une véritable stratégie d’entrée au capital.
B. La conversion en titres et la révélation de la participation
En octobre 2010, LVMH a opté pour le règlement en titres, recevant près de 9,8 millions d’actions Hermès. Le 23 octobre 2010, le groupe a déclaré détenir 14,2 % du capital, puis 17,1 % quelques jours plus tard.
Cette annonce a surpris le marché et la famille Hermès, qui a immédiatement craint une tentative de prise de contrôle rampante.
II. La riposte d’Hermès et la réaction des autorités
A. La défense de la famille Hermès par la création de la holding H51
Pour se protéger, les héritiers Hermès ont créé en décembre 2011 la société holding H51, qui a permis d’immobiliser 50,2 % du capital et de mettre en place un droit de préemption sur environ 12,3 % supplémentaires.
Cette structure, conforme au droit des sociétés et au droit boursier, rendait toute offre publique hostile économiquement et juridiquement irréalisable.
B. La sanction de l’AMF du 25 juin 2013
La Commission des sanctions de l’AMF (décision SAN-2013-15) a condamné LVMH à 8 millions d’euros d’amende. Deux manquements majeurs ont été retenus :
1. Manquement à l’information permanente (art. 223-1 RG AMF) : les rapports financiers 2008 et 2009 de LVMH contenaient des informations inexactes et incomplètes sur son exposition réelle aux actions Hermès.
2. Manquement à l’obligation d’informer sur la préparation d’une opération (art. 223-6 RG AMF) : dès juin 2010, LVMH avait la capacité de faire dénouer ses contrats en titres et préparait ainsi une montée significative au capital, sans en informer le marché.
L’AMF a considéré que LVMH avait « masqué toutes les étapes » de l’opération et « contourné les règles de transparence ».
III. Le règlement transactionnel et les enseignements de l’affaire
A. Le règlement amiable de septembre 2014
Le 3 septembre 2014, un accord a été conclu devant le président du tribunal de commerce de Paris.
Il prévoyait :
- un engagement de non-acquisition pendant 5 ans de la part de LVMH, Dior et Groupe Arnault ;
- la conservation par Groupe Arnault d’une participation directe d’environ 8,5 %.
Cette opération a permis de solder toutes les procédures, y compris les actions civiles engagées par Hermès.
B. Les effets économiques
La distribution des titres Hermès en décembre 2014 a généré pour LVMH une plus-value nette d’impôt de 2,81 milliards d’euros, malgré l’amende de 8 millions d’euros infligée par l’AMF.
Pour Hermès, l’annonce du règlement a provoqué une baisse immédiate du cours, de l’ordre de 8 à 10 % en séance, traduisant la disparition de la prime spéculative liée à l’hypothèse d’une OPA.
C. Les réformes législatives
L’affaire a révélé une faille dans le droit applicable aux dérivés financiers. La France a réagi dès le 1er octobre 2012 en assimilant aux actions, pour le calcul des franchissements de seuils (art. L. 233-9 C. com.), les instruments financiers réglés en espèces.
Cette orientation a ensuite été consacrée au niveau européen par la directive 2013/50/UE (Transparence révisée), transposée en droit français en 2015.
L’affaire Hermès/LVMH constitue un précédent majeur en droit boursier.
Elle illustre l’usage stratégique des dérivés pour acquérir une participation significative, mais aussi la réaction de la régulation face à une atteinte à la transparence des marchés.
Sur le plan économique, elle montre qu’un investisseur peut dégager une plus-value considérable tout en échouant à obtenir le contrôle stratégique recherché, lorsque la gouvernance familiale est solidement structurée.
Enfin, elle a accéléré l’évolution du droit positif, en renforçant les obligations déclaratives et en comblant la brèche que représentaient les instruments dérivés réglés en espèces.
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