JURISCAP - L’USUFRUITIER DE PARTS SOCIALES A LE DROIT DE CONTESTER UNE DÉCISION QUI AFFECTE SES DROITS
Un usufruitier de parts sociales a-t-il le droit de contester une délibération qui affecte directement son droit de jouissance des parts sociales ?
Oui. Dans une décision du 11 juillet 2024, la Cour de cassation a jugé que « les statuts d'une société civile immobilière (SCI) ne peuvent priver l'usufruitier de parts sociales du droit de contester une délibération collective susceptible d'avoir une incidence directe sur son droit de jouissance » (Cour de cassation, 3e Chambre civile, 11 juillet 2024, n°23-10.013)
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Les droits liés à la propriété (comme occuper un bien, le vendre, ou en percevoir les revenus) peuvent être partagés entre l'usufruitier et le nu-propriétaire. C'est ce qu'on appelle le démembrement du droit de propriété.
Des parts sociales démembrées sont des parts d'une société qui sont divisées en deux droits distincts :
· L'usufruitier a le droit de percevoir les revenus générés par les parts, comme les dividendes, mais n'a pas le pouvoir de décision dans la gestion de la société.
· Le nu-propriétaire possède les parts, mais n'en tire aucun revenu pendant la durée du démembrement. En revanche, c’est lui qui a la qualité d’associé.
C'est un peu comme si on séparait la propriété d'une maison en deux : l'un peut l'habiter et percevoir des revenus issus de ce bien comme les loyers (l'usufruitier), et l'autre en est le véritable propriétaire (le nu-propriétaire) mais ne peut pas en profiter directement tant que l'usufruit existe.
Le démembrement des parts sociales est courant, souvent suite au décès du propriétaire avec plusieurs héritiers. C'est aussi une méthode de transmission progressive de l'entreprise.
Par exemple, un chef d'entreprise peut, de son vivant, transférer la nue-propriété de ses parts à ses enfants, tout en conservant l'usufruit jusqu'à son décès où les héritiers deviendront pleinement associés. Cette opération, appelée donation-partage, permet aux héritiers de se familiariser avec la société et bénéficie d'un régime fiscal avantageux.
Dans cette affaire, des usufruitiers ont intenté une action en justice pour abus de majorité et défaut de pouvoir, cherchant à annuler les décisions prises en assemblée générale. Les statuts prévoyaient que les usufruitiers ne pouvaient contester aucune décision collective, à l'exception de celles concernant l'affectation des résultats.
Or, l'usufruitier doit se voir reconnaître certaines possibilités d'intervention dans la vie sociale afin de pouvoir préserver la valeur de son droit.
En ce sens, la Cour de cassation précise que les statuts ne peuvent pas empêcher un usufruitier de contester une décision collective qui affecterait directement son droit de jouissance. Elle réaffirme ainsi le droit de l'usufruitier de contester les décisions sur l'affectation des résultats ou toute autre délibération portant atteinte à ses droits.
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Gihen Ben Ziadi – Juriscap