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Imprimer 08/08/2024 Affaires

JURISCAP - NULLITÉ DU CONTRAT POUR ABUS DE DÉPENDANCE ÉCONOMIQUE

Le fait qu'une partie exige, deux jours avant la vente, d'introduire une clause de réduction de prix à laquelle elle avait précédemment renoncé constitue-t-il un abus de l'état de dépendance ?

Non. Dans un arrêt du 10 juillet 2024, la Cour de cassation a jugé que "dès lors qu'elle retenait que les cédants avaient conservé la faculté de ne pas déférer aux exigences du cessionnaire, une cour d'appel, qui pouvait se fonder sur des éléments concomitants ou postérieurs à la date de formation du contrat afin d'apprécier la réalité du vice du consentement allégué, a pu déduire qu'aucun abus n'était caractérisé à l'encontre du cessionnaire, de sorte que le vice du consentement allégué, tiré de l'abus de l'état de dépendance des cédants à l'égard du cessionnaire, n'était pas établi " (Cass. com., 10 juillet 2024, n°22-21.947)

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1.     Les conditions de validité du contrat 

 

Principe général : Trois conditions sont nécessaires à la validité du contrat, il s’agit du consentement des parties (1), de leur capacité de contracter (2) et du contenu licite et certain du contrat (3) (art. 1128 code civil).

 

Conséquences : L'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné (art. 1130 code civil).

 

2.     Demander la nullité du contrat sur le fondement de la violence 

 

Principe : Il y a violence lorsqu'une partie, abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif (art. 1143 code civil).

 

Conditions : Il faut ainsi démontrer un état de dépendance d’une partie à l’égard de l’autre (1) un abus de cet état par l’autre partie (2) un engagement que la partie faible n’aurait pas conclu en l’absence de cette contrainte (3) et l’auteur doit tirer un avantage manifestement excessif (4) Pour finir, depuis la loi de ratification du 20 avril 2018 il est nécessaire que cet état dépendance soit établi à l’égard du cocontractant (5).

 

Conséquences : Il ressort de l’article 1142 du Code civil que cette forme de violence est sanctionnée et cela peu importe l’auteur de la contrainte.

 

Prescription : Le délai de l’action en nullité en cas de violence ne court que du jour où elle a cessé (art. 1144 du code civil). Le délai de prescription est de 5 ans (art. 2224 code civil).

 

Preuve : La preuve est à la charge de la victime. De plus la violence étant un fait juridique sa preuve est possible par tout moyen.

 

Sanctions :

Nullité relative du contrat (1178 code civil) : 

·      Disparition : Le contrat annulé est considéré comme n'ayant jamais existé (effet rétroactif).

·      Restitutions : Les prestations effectuées doivent être restituées pour rétablir la situation antérieure (ex : remboursement après restitution d'un véhicule acheté).

Responsabilité délictuelle (1240 code civil) : La partie lésée peut réclamer des réparations pour le préjudice subi. 

 

3.     Cas pratique : exiger au dernier moment des négociations l’insertion d’une clause n’est pas forcément un abus de l'état de dépendance

 

Dans cette affaire, un couple avait vendu toutes les actions de leur société. 

 

Selon une clause d’ajustement de prix, il était stipulé que si les capitaux propres de la société étaient inférieurs au prix de vente (250 000€) à une date postérieure à la cession, les vendeurs devaient rembourser la différence à l’acheteur. L’acheteur avait alors poursuivi les vendeurs en justice pour obtenir le paiement de cette différence.

 

En réponse, les vendeurs avaient invoqué la nullité de la clause pour violence économique en affirmant que l’acheteur les avait placés dans une situation de dépendance économique et en avait abusé pour obtenir, à la dernière minute, un avantage manifestement excessif : la signature de la clause d’ajustement de prix.

 

La cour d'appel fait droit à la demande de l'acheteur et condamne les vendeurs à lui payer la somme de 137 795 €, soit plus de la moitié du prix de vente.

 

La Cour de cassation a confirmé la décision de la cour d'appel et a jugé que l’acheteur n’avait pas abusé de la situation de dépendance des vendeurs, dès lors que :

(1)   Les vendeurs, assistés de leur avocat et de leur expert-comptable, n’avaient pas démontré avoir tenté de s’opposer à l’insertion de cette clause dans le projet qui leur avait été soumis deux jours avant la signature

(2)   Par un avenant conclu le jour de la signature, les vendeurs avaient précisé les termes de la clause d’ajustement de prix, prouvant ainsi l’existence de négociations sur le prix et montrant qu’ils avaient conservé la possibilité de ne pas céder aux exigences de l’acheteur.

 

La Cour précise qu'il est tout à fait possible de se baser sur des éléments survenus pendant ou après la formation du contrat pour évaluer le vice du consentement allégué.