Violence économique subie par un avocat : nullité de la convention d’honoraires
« (…) L'avocat, qui se trouve dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de son client (jouit) du droit, dont dispose tout contractant, d'invoquer un consentement vicié par la violence, et de se prévaloir ainsi de la nullité de l'accord d'honoraires conclu avec ce client » (Cass. 2ème Civ., 9 décembre 2021, Pourvoi n° 20-10.096).
En l’espèce, la délégation Unédic AGS a confié à un avocat la défense de ses intérêts dans un ensemble de dossiers concernant les salariés d’une même association, l’ARAST. En première instance, l’avocat a suivi l’intégralité des dossiers. En appel, la délégation Unédic AGS l’a chargé de suivre sept-cent-quatre-vingt-quinze dossiers et en a confié centre-quarante à un autre avocat. Dessaisi en cours d’instance, l’avocat demande au bâtonnier de son ordre de fixer ses honoraires en faisant valoir qu’il avait droit à un complément d’honoraires pour la première instance, à des honoraires pour la procédure d’appel et à une rémunération de son intervention lors de la procédure collective de l’ARAST.
La Cour d’appel annule la convention d’honoraires perçue par l’avocat fixant à 90 000 euros hors taxe le montant des honoraires forfaitaires perçus par l'avocat pour la procédure d'appel et fixe les honoraires dus à la somme de 350 000 euros.
La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la délégation Unédic AGS :
- En premier lieu, elle précise que la violence exercée contre celui qui a contracté l’obligation est une cause de nullité ;
- En second lieu, elle rappelle les articles 1er (la profession d’avocat est une profession libérale et indépendante) et 3 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (l’avocat prête serment d’exercer ses fonctions « avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité »).
En conséquence, l’avocat doit, en toutes circonstances, être guidé dans l’exercice de sa profession par le respect de ces principes déontologiques . Il doit notamment veiller à préserver son indépendance. Ces dispositions ne sauraient priver l’avocat, qui se trouve dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de son client, du droit, dont dispose tout contractant, d’invoquer un consentement vicié par la violence et de se prévaloir ainsi de la nullité de l’accord d’honoraires conclu avec ce client.
L’arrêt (de la Cour d’appel), ayant caractérisé l’état de dépendance économique dans lequel l’avocat se trouvait à l’égard de la délégation Unédic AGS, ainsi que l’avantage excessif que cette dernière en avait tiré, en déduit que cette situation de contrainte était constitutive d’un vice du consentement au sens de l’article 1111 ancien du code civil, excluant la réalité d’un accord d’honoraires librement consenti et fixe les honoraires dus à l’avocat en application des critères posés par l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971.
L’abus de dépendance a fait l’objet d’une évolution au cours des différentes étapes de la réforme du droit des contrats. Depuis la loi de ratification du 20 avril 2018, l'article 1143 du Code civil dispose : " Il y a également violence lorsqu'une partie, abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ".
Ainsi que le suggère l’arrêt, la violence par abus de dépendance posée par l’article 1143 tient dans la réunion de deux conditions : l’état de dépendance de la victime et l’obtention d’un avantage manifestement excessif de son auteur.
1 - État de dépendance. Les rédacteurs de l'ordonnance du 10 février 2016 ont délibérément écarté les références à la « nécessité » et à la « faiblesse » qui figuraient également à l'origine dans les projets : ils n'ont conservé que celle à « l'état de dépendance », jugé plus significatif. La nature de la dépendance n'est pas précisée par le texte qui se veut, à cet égard, très ouvert. Il peut s'agir de la dépendance économique mais il n’y a aucune exclusivité. La dépendance économique peut être définie comme l’impossibilité pour le contractant de disposer d’une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu’elle a nouées avec son cocontractant. Ici, la Cour d’appel a caractérisé l’état de dépendance économique de l’avocat à l’égard de la délégation Unédic AGS.
2 - Avantage manifestement excessif. - L'article 1143 du Code civil exige enfin que celui à qui est imputée une violence par abus de la situation de dépendance dans laquelle se trouve son cocontractant à son égard ait retiré de l'opération un « avantage manifestement excessif », constituant une menace sur les intérêts légitimes du contractant (en ce sens, Cass. 1ère Civ. 3 avril 2002, pourvoi n° 00-12.932, Société Larousse-Bordas ; adde. Cass. com. 3 octobre 2006, pourvoi n° 04-13.978). La contrainte exercée par la délégation Unédic AGS a porté atteinte aux intérêts légitimes (patrimoniaux) de l’avocat dont le fonctionnement du cabinet a été considérablement altéré par le volume des dossiers confiés.