La loi du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France
Issu d’une proposition de loi déposée par les sénateurs P. Chaize, G. Chevrollier, J.-M. Houllegatte, H. Maurey et plusieurs de leurs collègues, ce nouveau texte a pour objectif de sensibiliser et de responsabiliser l’ensemble des acteurs à la pollution croissante engendrée par le numérique en France.
Comme le souligne le rapport fait au nom de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, « la pollution du numérique va s’imposer comme une problématique centrale des prochaines années ». En 2040, le secteur du numérique pourrait être l’origine de l’émission de 24 millions de tonnes d’équivalent CO2 à l’horizon 2040, soit environ 7% des émissions de la France.
La loi du 15 novembre 2021 s’articule autour de 5 objectifs et déploie de nombreuses mesures afin de faire rimer développement du numérique et transition écologique.
1er objectif : Faire prendre conscience aux utilisateurs de l’impact environnemental du numérique
· La formation à l’utilisation responsable des outils et des ressources numériques, dispensée dans les écoles et les établissements d’enseignement comporte désormais une sensibilisation à l’impact environnemental de ces outils ainsi qu’un volet relatif à la sobriété numérique (art. L. 321-9 al. 2 du Code de l’éducation ; L. 611-8 du Code de l’éducation relatif aux établissements de l’enseignement supérieur). En outre, la diplomation des ingénieurs en informatique est désormais conditionnée à l'obtention d'une attestation de compétences acquises en écoconception logiciel (L. 642-3 du Code de l’éducation).
· Un observatoire des impacts environnementaux du numérique est créé afin d’analyser et quantifier les impacts directs et indirects du numérique sur l’environnement ainsi que la contribution apportée par le numérique, notamment l’intelligence artificielle, à la transition écologique et solidaire. Cet observatoire élabore une définition de la sobriété numérique. Ses rapports sont rendus publics et peuvent comporter des propositions visant à réduire les impacts environnementaux du numérique. Cet observatoire est placé auprès de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ainsi que de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP), qui en assurent le secrétariat.
2ème objectif : Limiter le renouvellement des terminaux
L’allongement de la durée de vie des produits numériques se présente comme une priorité. 70% de l’empreinte carbone numérique en France est causée par la fabrication des terminaux numériques. La loi met en place plusieurs dispositifs de nature à limiter le renouvelle des terminaux.
· La loi renforce et améliore la lutte contre l’obsolescence programmée. D’une part, la loi rend le dispositif plus opérationnel en supprimant la référence à la recherche d’une augmentation du taux de remplacement pour les entreprises recourant délibérément à des techniques de nature à réduire la durée de vie de leurs produits. D’autre part, la loi intègre l’obsolescence logicielle dans la définition de l’obsolescence programmée donnée par l’article L. 441-2 du Code de la consommation.
· Pour favoriser la réparation et le reconditionnement des produits numériques l’article L. article L. 441-3 du Code de la consommation est complété. Outre l’interdiction de rendre impossible la réparation ou le reconditionnement d’un appareil, le metteur sur le marché ne peut désormais limiter la restauration de l’ensemble des fonctionnalités d’un tel appareil hors des circuits agréés.
· Par ailleurs, la loi interdit d’imposer toute technique, y compris logicielle, ayant pour objet de restreindre la liberté du consommateur d’installer les logiciels ou les systèmes d’exploitation de son choix sur son terminal au bout d’un délai de deux ans (art. L. 441-6 du Code de la consommation).
· La loi renforce la transparence et la liberté de choix des utilisateurs quant aux mises à jour proposées par les vendeurs.
o Le vendeur doit informer le consommateur, de façon lisible et compréhensible, des caractéristiques essentielles de chaque mise à jour des éléments numériques du bien, notamment l’espace de stockage qu’elle requiert, son impact sur les performances du bien et des fonctionnalités qu’elle comporte (art. L. 217-22 du Code de la consommation).
o Lorsqu’un contrat prévoit que le contenu numérique ou le service numérique est fourni pendant une période supérieure à deux ans, le vendeur doit veiller à ce que le consommateur soit informé de telles mises à jour et à ce qu’il les reçoive durant la période pendant laquelle le contenu numérique ou le service numérique est fourni en vertu du contrat (art. L. 217-23, al. 4 du Code de consommation). Cette disposition remplace la proposition initiale des sénateurs qui souhaitaient étendre le délai de prescription de l’action en garantie en conformité des appareils numériques de deux à cinq ans. Les nouveaux textes précisent que le vendeur ne peut être tenu responsable des défauts de conformité résultant de l’absence d’installation par le consommateur des mises à jour concernées dans un délai raisonnable. Ce tempérament ne joue que si le vendeur a informé le consommateur de la disponibilité des mises à jour et des conséquences de leur non-installation par le consommateur et que si la non-installation ou l’installation incorrecte par le consommateur des mises à jour ne soit pas due à des lacunes dans les instructions d’installation fournies au consommateur.
o Concernant les mises à jour de logiciel qui ne sont pas nécessaires au maintien de la conformité, le contrat doit autoriser préalablement le principe de telles mises à jour et en fournir une raison valable ; le vendeur doit informer le consommateur, de manière claire et compréhensible, de chaque mise à jour envisagée, en lui précisant la date à laquelle elle intervient, et ce, raisonnablement en avance et sur un support durable ; chaque mise à jour doit être effectuée sans coût supplémentaire pour le consommateur. En outre, le consommateur doit être informé de son droit de refuser chaque mise à jour ou, le cas échéant, de la désinstaller, si la mise à jour a une incidence négative sur son accès au contenu numérique ou au service numérique oui sur utilisation de contenu ou de ce service. La loi ajoute que, dans ce dernier cas, la résolution du contrat est de droit et sans frais pour le consommateur, dans un délai de 30 jours, à moins que la mise à jour n’ait qu’une incidence mineure pour lui. Une telle résolution ne peut toutefois être mise en œuvre si le vendeur propose au consommateur de conserver le contenu numérique ou le service numérique sans modification, y compris au moyen d’une désinstallation de la mise à jour (art. L. 217-33 du Code de la consommation).
· La loi met en place plusieurs dispositifs pour favoriser le recyclage, le réemploi et la réutilisation des équipements numériques. Une prime au retour est notamment prévue pour les particuliers qui rapportent les équipements dont ils souhaitent se défaire, pour les téléphones, les tablettes et les ordinateurs portables. Des opérations de collecte nationales de collecte doivent être menées, chaque année, par les producteurs d’équipements électriques et électroniques ou par leur éco-organisme (art. L. 541-10-20 du Code de l’environnement). Des obligations renforcées sont également mises à la charge des services de l’État, ainsi que les collectivités territoriales et leurs groupements. Cela se traduit par une prise en compte de critères de durabilité des produits dans les achats publics de certains produits numériques, sur la base notamment des critères de l'indice de réparabilité, obligatoire au 1er janvier 2023, puis de l'indice de durabilité à partir du 1er janvier 2026.
· Pour favoriser le marché des produits numériques reconditionnés et lutter contre « l’obsolescence marketing » des smartphones, la loi instaure plusieurs mécanismes :
o D’abord, les smartphones et tablettes reconditionnés seront soumis à un taux spécifique et différencié de redevance pour copie privée par rapport aux appareils neufs, tenant compte notamment de leur ancienneté. Les entreprises du secteur social et solidaire en seront exemptées. Les sénateurs souhaitaient exclure les biens reconditionnés de l’assiette de la rémunération pour copie privée dans la mesure où lesdits biens ont déjà donné lieu au versement de cette redevance lors de leur mise initiale sur le marché.
o Ensuite, l’article L. 122-25 du Code de la consommation oblige tout professionnel qui propose à la vente ou à la location des équipements terminaux mobiles neufs informe le consommateur de l’existence d’offres d’équipements terminaux mobiles reconditionnés ;
o Enfin, un nouvel article L. 224-27-3 est inséré dans le Code de la consommation. Il vise à renforcer l’information des consommateurs pour les offres mobiles « subventionnées ». Pour rappel, il s’agit d’associer l’achat d’un téléphone portable à la souscription d’un forfait mobile pendant une période d’engagement allant souvent jusqu’à vingt- quatre mois. Cet engagement permet à l’opérateur de « subventionner » le téléphone portable et donc de faire baisser son coût à l’achat ; en contrepartie, le client s’engage à payer un supplément mensuel. Le prix du téléphone est donc en grande partie inclus dans celui de l’abonnement. Désormais, professionnel qui propose de telles offres doit dissocier clairement le montant payé au titre du téléphone portable de celui payé au titre de l’abonnement.
· Les distributeurs d’équipements informatiques doivent communiquer sans frais aux consommateurs des alertes et des conseils d’usage ou d’opérations d’entretien, de maintenance ou de nettoyage information des produits afin d’optimiser leur performance et d’allonger leur durée de vie (art. L. 541-9-3 du Code de l’environnement).
· Pour limiter le gaspillage, la loi met fin à l’obligation de fournir des écouteurs lors de l’achat d’un smartphone. Les fabricants doivent toutefois assurer la disponibilité d’écouteurs compatibles avec le modèle du téléphone pendant toute la durée de commercialisation (art. L. 34-9 du Code des postes et des communications).
3ème objectif : Favoriser des usages numériques écologiquement vertueux
· À partir de janvier 2024, l’ARCEP et le CSA, en lien avec l’ADEME, définissent le contenu d’un référentiel général de l’écoconception des services numériques. Ce référentiel vise à définir des critères de conception durable des services numériques afin de réduire l’empreinte environnementale. Ces critères concernent notamment l’affichage et la lecture des contenus multimédias pour permettre de limiter le recours aux stratégies de captation de l’attention des utilisateurs des services numériques.
· À partir de janvier 2023, le CSA, en lien avec l’ARCEP et de l’ADEME, publie une recommandation quant à l’information des consommateurs par les services de télévision, les services de médias audiovisuels à la demande et les services de plateforme de partage de vidéos en matière de consommation d’énergie et d’équivalents d’émissions de gaz à effet de serre de la consommation de données liées à l’utilisation de ces services, en tenant compte notamment des modalités d’accès à ces contenus et de la qualité de leur affichage (art. L. 38-6 du Code des postes et des communications électroniques). Moins contraignant que ce qui avait été proposé, cette disposition s’inscrit dans une démarche de soft law. Elle a pour but d’inciter la mise en œuvre volontaire de bonnes pratiques par les fournisseurs de VOD.
· Directement issu d’une proposition des députés, le démarchage téléphonique via des systèmes automatisés d’appel et d’envois de message est strictement encadré. L’ARCEP peut préciser les catégories de numéros du plan national de numérotation téléphonique qu’il est interdit d’utiliser comme identifiant de l’appelant présenté à l’appelé ou de l’expéditeur présenté au destinataire pour des appels ou des messages émis par de tels systèmes automatisés, ainsi que les conditions dans lesquelles cette interdiction s’applique (art. L. 32 du Code des postes et des communications électroniques). L’Autorité peut, en outre, préciser les mesures que les opérateurs mettent en œuvre pour interrompre l’acheminement des appels et des messages émis au départ de leurs réseaux, transitant à travers ceux-ci ou terminés sur ceux-ci qui ne respectent pas cette interdiction. Le lien avec l’écologie apparaît ici plus indirect. Les députés ont toutefois mis en évidence que ces précisions et compléments à la loi du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux apparaissent nécessaires « afin de limiter la consommation de données et leur empreinte environnementale, mais aussi les produits et services dont la surconsommation encouragée par un démarchage téléphonique intempestif a des effets néfastes évidents ».
· Enfin, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur le développement des cryptomonnaies, sur ses enjeux et sur ses impacts environnementaux actuels et à venir. Ce rapport a notamment pour but d’estimer l’impact environnemental de l’hébergement sur du « hardware » de particuliers par des sociétés spécialisées dans le minage, aux fins de leur permettre de miner rentablement des cryptomonnaies à l’étranger, organisant ainsi une exportation de consommation d’énergie fossile et d’émissions de gaz à effet de serre.
4ème objectif : Promouvoir des centres de données et des réseaux moins énergivores
· La loi renforce les conditionnalités environnementales qui s’appliqueront à compter de 2022 au tarif réduit de la taxe intérieure de consommation finale d’électricité (TICFE) dont bénéficient les data centers. Les data centers devront ainsi valoriser la chaleur fatale ou respecter un indicateur chiffré déterminé par décret sur un horizon pluriannuel en matière d’efficacité dans l’utilisation de la puissance. Un indicateur devra également être respecté en matière de limitation d’usage de l’eau à des fins de refroidissement.
· Les opérateurs économiques sont tenus de publier des indicateurs clefs sur leurs politiques de réduction de leur empreinte environnementale, notamment en matière de réduction de gaz à effet de serre, de renouvellement et de collecte des terminaux mobiles portables, d’écoconception des produits et des services numériques qu’ils proposent, de recyclage et de réemploi des boîtiers de connexion internet et des décodeurs ainsi que de sensibilisation aux usages responsables du numérique. Un décret précisera le contenu et les modalités de cette obligation ainsi que le seul de chiffre d’affaires annuel réalisé en France en deçà duquel les opérateurs de communication électroniques n’y sont pas assujettis.
· La loi créée par ailleurs un nouvel article article L. 34-9-1-1 qui soumet la réservation de terrains et la construction d’antennes relais à l’information et la transmission préalable au maire ou au président de l’établissement public de coopération intercommunale, par l’opérateur d’infrastructure ou de service, du mandat de construction ou du contrat de location ou de service passé avec les opérateurs.
5ème objectif : Promouvoir une stratégie numérique responsable dans les territoires
· Les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) doivent intégrer l’enjeu de la récupération de chaleur des centres de données.
· À partir de 2025, les communes de plus de 50 000 habitants définissent devront élaborer une stratégie numérique responsable qui indique notamment les objectifs de réduction de l’empreinte environnementale du numérique et les mesures mises en place pour les atteindre.
· Enfin, dans un délai de six mois à compter de la loi, le Gouvernement remettra au Parlement un rapport environnemental sur l’impact environnemental de la pratique du jeu à la demande (ou cloud gaming) qui se définit comme une technologie permettant de jouer à un jeu vidéo de manière dématérialisée. Le jeu, stocké sur des serveurs très puissants, est accessible via une connexion internet et un écran (ordinateur, tablette, téléphone portable ou téléviseur). Le rapport s’attache à faire un bilan coûts-avantages de la pratique afin d’en mesurer au moins les effets nuisibles et bénéfiques.