La forme d'un rouge à lèvres peut-elle être une marque distinctive ?
Le tribunal de l'Union européenne annule la décision de l'EUIPO ayant refusé d'enregistrer à titre de marque tridimensionnelle la forme d'un tube de rouge à lèvres
Le Tribunal de l’Union européenne (TUE) annule la décision de la Première chambre de recours de l'Office de l'Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO) en date du 2 juin 2020 ayant rejeté la demande de la société Guerlain d’enregistrer à titre de marque tridimensionnelle la forme d'un tube de rouge à lèvres pour défaut de distinctivité.
Le TUE juge a contrario que la marque demandée dispose d’un caractère distinctif car elle diverge de manière significative de la norme et des habitudes du secteur des rouges à lèvres.
Outre l’intérêt pour le secteur cosmétique de pouvoir protéger la forme d'un rouge à lèvres par un droit indéfiniment renouvelable, l’arrêt rappelle certains principes et livre des enseignements importants quant à l’appréciation du critère de distinctivité. Pour rappel, la distinctivité signifie que le signe choisi à titre de marque soit perçu par le consommateur comme l'indication de l’origine commerciale du produit du service et donc permette au titulaire de distinguer son produit ou service des autres entreprises. Cette condition essentielle du droit des marques est appréciée in concreto, au jour du dépôt, en tenant compte de toutes les circonstances du cas d'espèce. La distinctivité s'apprécie à la fois au regard des produits et services concernés et de la perception de ladite marque par le public pertinent, c'est-à-dire les consommateurs des produits et services concernés. Pour les marques tridimensionnelles, la distinctivité signifie aussi que la forme ou une caractéristique du produit ne soit pas exclusivement imposée « par la nature même de ce produit, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique » (Trib. UE, 24 oct. 2019, T-601/17, refusant la protection du Rubik’s cube) oui qui confère à ce produit « une valeur substantielle » (CJUE, 23 avril 2020, Gömböc, aff. C-237/19).
En premier lieu, le TUE rappelle que « l’appréciation du caractère distinctif d’une marque de l’Union européenne ne se fonde pas sur l’originalité ou l’absence d’utilisation de ladite marque dans le domaine dont relèvent les produits et les services concernés ». Pour être enregistrée, une marque tridimensionnelle constituée par la forme du produit doit diverger de manière significative de la norme ou des habitudes de secteur concerné. Dès lors, la seule nouveauté de la forme du produit n’est pas suffisante à établir le caractère distinctif du signe.
En deuxième lieu, la circonstance que des produits aient un design de qualité n’implique pas nécessairement qu’une marque constituée de la forme tridimensionnelle de ces produits permet ab initio de distinguer lesdits produits de ceux d’autres entreprises. Le TUE précise, toutefois, que l’esthétisme de la forme du produit peut être un élément pris en compte dans l’appréciation du cratère distinctif, et en particulier pour établir une différence par rapport à la norme et aux usages d'un secteur, pour autant que cet aspect esthétique soit compris comme renvoyant à l'effet visuel objectif et inhabituel produit par le design spécifique de ladite marque. Par conséquent, cette prise en compte de l'aspect esthétique de la marque ne doit pas ainsi se confondre avec une évaluation subjective de la beauté ou de l'absence de celle-ci du produit en cause.
En troisième lieu, le TUE juge, au regard des images prises en considération par la chambre de recours comme constituant la norme et les habitudes du secteur concerné, que la forme en cause est inhabituelle pour un rouge à lèvres et diffère de toute autre forme existant sur le marché. Il relève notamment que ladite forme rappelle celle d'une coque de bateau ou d'un couffin, ce qui permet de la distinguer la forme habituelle des rouges à lèvres, de formes cylindriques et parallélépipédiques. En outre, la protubérance, permettant de verrouiller et déverrouiller le rouge à lèvres, est insolite pour un rouge à lèvres et contribue à l'apparence inhabituelle de cette marque. Enfin, la forme du rouge à lèvres empêche celui-ci d'être positionné verticalement, et renforce une fois encore l'effet visuel inhabituel pour le public pertinent de cette forme pour un rouge à lèvres.
Le TUE considère en conclut que le public pertinent doté d'un niveau d'attention allant de moyen à élevé sera surpris par cette forme facilement mémorisable et la percevra comme divergeant de manière significative de la norme et des habitudes du secteur des rouges à lèvres en mesure d'indiquer l'origine des produits concernés. C'est donc à tort que la chambre de recours de l'EUIPO a conclu que la marque demandée ne disposait pas d'un caractère distinctif et ne pouvait être enregistrée. La décision de l'EUIPO est annulée et condamne ce dernier aux dépens.