JURISCAP - LE DROIT À LA PREUVE DÉLOYALE - PEUT-ON UTILISER UN ENREGISTREMENT AUDIO SANS LE CONSENTEMENT DE QUELQU’UN COMME PREUVE DEVANT UN TRIBUNAL ?
OUI. Le 22 décembre 2023, la Cour de cassation, réunie en Assemblée plénière, a effectué un revirement de jurisprudence. Désormais, dans un litige civil, une partie peut utiliser, sous certaines conditions strictes, une preuve obtenue de manière déloyale pour faire valoir ses droits ! (Cour de cassation, Assemblée Plénière, 22/12/2023, n°20-20.648)
Dans cette affaire, un salarié a saisi le juge pour contester son licenciement pour faute grave. Son employeur afin de justifier ce licenciement apporte au juge un enregistrement audio d’un entretien réalisé à l’insu dudit salarié et au cours duquel celui-ci a tenu des propos ayant conduit à sa mise à pied.
La cour d’appel déclare cette preuve irrecevable puisqu’elle est effectuée de manière clandestine. Pour justifier sa décision, la cour se basait sur un arrêt d’assemblée plénière de 2011, consacrant un principe de loyauté dans l’administration de la preuve. Lorsqu’une preuve est obtenue de manière déloyale, c’est-à-dire lorsqu’elle est recueillie grâce à une manœuvre ou à un stratagème et à l’insu de la personne, un juge ne peut pas en tenir compte (Cass. Ass. plén. 7 janvier 2011, n° 09-14.316).
La justice doit, en effet, être rendue en considération de preuves recueillies et produites d'une manière qui ne porte pas atteinte à sa dignité et à sa crédibilité.
Or, dans cette affaire, aucune autre preuve ne pouvait démontrer la faute commise par le salarié, ce qui avait pour conséquence de priver l’employeur de faire valoir ses droits !
Le licenciement ayant été jugé sans cause réelle et sérieuse, l’employeur conteste cette décision devant la Cour de cassation.
Les Hauts magistrats se voient investis d’une question particulièrement difficile puisqu’ils doivent, pour trancher, mettre en balance, d’une part, le droit à la preuve d’une partie, et d’autre part, le droit au respect de la vie privée de l’autre partie. ⚖
La Cour de cassation décide finalement d’opérer un revirement de jurisprudence en s’inspirant des arrêts de la CEDH et admet que :
- Par principe : des moyens de preuve déloyaux peuvent être présentés au juge dès lors qu’ils sont indispensables à l’exercice des droits du justiciable.
- Toutefois, elle précise que des limites s’imposent : la prise en compte de ces preuves ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse (vie privée, égalité des armes etc.)
En ce sens, la solution de la Cour veut répondre à la nécessité de ne pas priver un justiciable de la possibilité de faire valoir ses droits, lorsque la seule preuve disponible pour lui suppose, pour son obtention, une atteinte aux droits de la partie adverse.
Gihen Ben Ziadi
Élève-avocate ⎥ Founder of Juriscap