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Imprimer 13/02/2022 Civil

Appréciation de la disproportion de l’engagement de la caution mariée

Par deux arrêts du 19 janvier 2022 (20-20.467) et du 2 février 2022 (20-22.938), la Première chambre civile de la Cour de cassation apporte des précisions sur l'appréciation de la disproportion de l'engagement d'une caution mariée.

Deux arrêts de la Première chambre civile de la Cour de cassation du 19 janvier 2022 (20-20 .467) et du 2 février 2022 (20-22.938) donnent des indications sur la manière dont doit être appréciée la disproportion de l’engagement d’une caution mariée sur le fondement de l’article L. 332-1 du Code de la consommation (abrogé par l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021).

Cet article dispose qu’un créancier professionnel ne peut se prévaloir de la sûreté si l'engagement de la caution personne physique est, lors de la conclusion du contrat, manifestement disproportionné à ses biens et revenus. Il n'en est autrement que si le patrimoine de la caution, au moment où elle est appelée, lui permet d'assumer son obligation.

Les éléments à prendre en compte pour apprécier la disproportion font l’objet depuis quelques années d’un contentieux nourri, notamment en présence d’une caution mariée. 

Caution mariée sous le régime de séparation des biens 

Dans l’arrêt du 19 janvier 2022, la Cour de cassation énonce que « la disproportion éventuelle de l'engagement d'une caution mariée sous le régime de la séparation de biens s'apprécie au regard de ses revenus et biens personnels, comprenant sa quote-part dans les biens indivis ».

Elle censure, au visa des articles L. 332-1 du Code de la consommation et 1538 du Code civil, l’arrêt de la Cour d’appel, qui, pour dire les engagements de la caution manifestement disproportionnés à ses biens et revenus, a retenu que la caution a acquis en indivision avec son épouse une maison, qui constitue un bien « commun » n'entrant pas dans son patrimoine dès lors qu'elle est mariée sous le régime de la séparation de biens et que l'épouse n'a pas donné son accord au cautionnement. 

La solution est logique. Les droits indivis sont des droits concurrents sur un même bien ou sur un ensemble de biens. En matière de séparation de biens, l'article 1538 du Code civil prévoit que "les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d'une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié". La quote-part de la caution dans le bien indivis est un élément de son patrimoine et doit donc être prise en compte pour apprécier la disproportion de son engagement. Le fait qu’il soit nécessaire d’attendre le partage pour attribuer à chacun des époux des biens d’une valeur égale à celle de ses droits dans l’indivision et que l'épouse n'ait pas donné son accord au cautionnement importe peu. 

L'arrêt du 19 janvier 2022 parachève la jurisprudence relative à l'appréciation de la disproportion du cautionnement sous le régime de séparation de biens. La Cour de cassation a précisé en 2018 (Cass. com. 24 mai 2018, n°16-23036) que la proportion de l’engagement de la caution à ses biens et revenus ne peut se déduire du fait que son conjoint séparé de biens est en mesure de contribuer de manière substantielle aux charges de la vie courante. Il s’agit là de rappeler simplement l’indépendance patrimoniale des époux inhérente au régime de la séparation des biens.

Caution mariée sous le régime de la communauté réduite aux acquêts  

Dans l’arrêt du 2 février 2022, la Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir retenu que « la disproportion des engagements de cautions mariées sous le régime légal doit s'apprécier au regard de l'ensemble de leurs biens et revenus propres et communs ».

Cette solution est assez classique et doit, à notre sens, s’appliquer que l’époux ait ou non expressément consenti au cautionnement de l’autre. On rappellera que l’article 1415 du Code civil dispose que « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n'aient été contractés avec le consentement exprès de l'autre conjoint qui, dans ce cas, n'engage pas ses biens propres ». Si cet article est de nature à empêcher qu’un ou plusieurs biens soient engagés pour l’exécution de la condamnation éventuelle de la caution, il n’est pas a priori un élément pertinent pour apprécier la disproportion d’un engagement. 

Dans un arrêt du 15 novembre 2017 (n°16-10504), la chambre commerciale a jugé, en ce sens, que la disproportion manifeste de l'engagement de la caution s'appréciant par rapport, notamment, à ses biens, sans distinction, les biens dépendant de la communauté doivent être pris en considération, quand bien même ils ne pourraient être engagés pour l'exécution de la condamnation éventuelle de la caution, en l'absence du consentement exprès du conjoint donné conformément à l'article 1415 du code civil (voir aussi Com. 6 juin 2018, n°16-26.182 : « la disproportion manifeste de l'engagement de la caution commune en biens s'apprécie par rapport aux biens et revenus de celle-ci, sans distinction et sans qu'il y ait lieu de tenir compte du consentement exprès du conjoint donné conformément à l'article 1415 du code civil, qui détermine seulement le gage du créancier, de sorte que devaient être pris en considération tant les biens propres et les revenus de la caution que les biens communs, incluant les revenus de son épouse »).

Ces solutions doivent être approuvées. Elles permettent de rappeler que l’exigence de proportionnalité doit s’apprécier au regard de tous les biens et revenus dont la caution peut disposer au moment de la conclusion du contrat. Il importe peu de se demander si le créancier sera en mesure ou non d’obtenir l’exécution de l’engagement de la caution une fois celui-ci appelé en paiement et notamment d’appréhender un bien dont le cautionnement n’a pas été expressément consenti par l’un des époux au sens de l’article 1415 du Code civil. 

L’article L. 332-1 du Code de la consommation vise avant tout à protéger la caution contre un engagement qu’elle n’est pas en mesure d’assumer et non de s’interroger sur les biens que le créancier sera en mesure d’appréhender effectivement au titre de son gage. 

Le nouvel article 2300 du Code civil, issu de l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 et abrogeant l’article L. 332-1 du Code de la consommation, n’est pas de nature à bouleverser ces décisions. Ce nouvel article, applicable pour les cautionnements conclus après le 1er janvier 2022, dispose que « si le cautionnement souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné aux revenus et au patrimoine de la caution, il est réduit au montant à hauteur duquel elle pouvait s'engager à cette date ». On notera toutefois que la disproportion aboutit désormais à une réduction de la garantie et non plus à une décharge totale de la caution. En outre, le créancier ne peut plus profiter du retour à meilleure fortune de la caution.